Contacts, échanges et confrontations des théoricien·ne·s et des praticien·ne·s de l’architecture, de l’art et de la conservation-restauration en Europe du XVIIIe siècle à nos jours
Date : 30-31 mai 2024
Lieu : Metz
Organisation : Mathilde Haentzler (Université de Haute-Alsace, laboratoire CRESAT) et Solène Scherer (Université de Lorraine, laboratoire CEGIL)
Le 30 et 31 mai 2024 s’est tenu à Metz un colloque junior rassemblant des jeunes chercheur·se·s autour de la thématique des contacts au sein des sciences du patrimoine, de l’art et de l’architecture. Ce colloque junior a pu être organisé grâce au soutien du Centre Interdisciplinaire d’Études et de Recherches sur l’Allemagne (CIERA), de l’Université de Lorraine, de l’Université de Haute-Alsace, des laboratoires CEGIL et CRESAT et de Metz Métropole.
L’objectif du colloque était de placer au cœur des réflexions le rôle des contacts et des confrontations entre les théoriciens et praticiens du patrimoine, des arts et de l’architecture, afin d’étudier l’importance de ces échanges dans l’élaboration d’idées, de postures, d’actions à la fois à l’échelle nationale et internationale. Le XIXe siècle a marqué un tournant dans les dynamiques d’échanges entre celles et ceux qui s’intéressent et font le patrimoine : loin de l’érudition des Lumières, les textes théoriques, mais aussi les grands chantiers de cette époque servent pleinement à la rhétorique des constructions nationales – ou « national-patrimoniales » pour reprendre l’expression de Luigi Bobbio. Aussi, la place qu’occupent les échanges entre conservateur·ice·s, artistes ou même politicien·ne·s au-delà des frontières n’est souvent abordée qu’au prisme de ces enjeux nationaux. Pourtant, l’analyse des échanges, qu’ils soient positifs – de la correspondance amicale à la collaboration internationale – ou négatifs – de la critique au dénigrement des théories par exemple –montrent qu’il est nécessaire d’accorder une importance à ces contacts au-delà du cadre national, dans une vraie perspective transnationale. Le rôle des intermédiaires dans la transmission et la circulation de savoirs, la réception ou le rejet des théories d’autres pays, mais aussi l’adaptation des théoricien·ne·s praticien·ne·s et participent à une réelle émulation réciproque, sans laquelle les sciences du patrimoine n’auraient pu connaître un tel développement. C’est ces aspects que le colloque junior a décidé de questionner à travers une introduction, six panels thématiques et une conférence plénière, répartis sur deux jours.
Le colloque s’est ouvert par une introduction thématique, proposée par Meinrad von Engelberg, de l’Université technique de Darmstadt. Son introduction a permis de revenir sur les types et les rôles des contacts au sein des domaines de l’art, de l’architecture et du patrimoine depuis la fin du Moyen-Âge jusqu’au XVIIIe siècle. En esquissant les premiers enjeux autour de ces échanges et leurs conséquences, l’introduction a offert une meilleure compréhension de la situation au XVIIIe siècle, de manière à aborder les contributions du colloque en ayant pleinement conscience de ce qui avait précédé.
Les participants au premier panel se sont intéressés aux figures d’intermédiaires et Sylvie Arlaud de Sorbonne Université a modéré les interventions. Hugo Tardy, de l’Université Toulouse Jean Jaurès, a d’abord pris la parole pour traiter de Johann Reiffenstein, un Allemand, vivant en Italie et servant d’intermédiaire pour les achats de sculptures de l’aristocratie russe au XVIIIe siècle. Alors que c’est souvent l’activité d’agent artistique qui fait l’objet d’études, il était ici question du rôle de Reiffenstein dans la circulation des connaissances liées à la réparation des statues. La seconde communication du panel a également abordé les échanges de connaissances en termes de conservation, mais plus spécifiquement ceux liés à l’archéologie médiévale. Solène Scherer de l’Université de Lorraine s’est penchée sur la figure d’Eduard Melly, pionnier dans le développement d’une politique de protection patrimoniale en Autriche. Il a pu développer sa pensée et esquisser une proposition d’organisation étatique grâce à sa connaissance des théories, pratiques et publications à l’étranger, surtout en France par le biais de sa correspondance avec Adolphe-Napoléon Didron. Enfin, la dernière intervention par Mohamed Derbal de Cambridge University, s’est intéressé à Hermann Muthesius et ses années passées à Londres, au tournant du XIXe et XXe siècle. Il a mis en lumière comment Muthesius agit à la fois comme un agent d’un transfert culturel vers l’Allemagne dans la conception d’un modèle anglais à but rhétorique, tout en étant lui-même au cœur d’un réseau dense d’influences réciproques et d’une émulation propre au contexte transnational à une époque où se forment les esthétiques nationales.
Le deuxième panel a interrogé le rôle des revues et des périodiques comme lieu d’échanges. À la suite d’un désistement, il n’a consisté qu’en une seule intervention, celle d’Alexander Luckmann de University of California, Santa Barbara. Modérée par Katrin Heiler de l’Université de Lorraine et l’Universität des Saarlandes, Alexander Luckmann a présenté le cas d’un « musée de plein air », un Freiluftmuseum, à Königsberg en Prusse orientale, en analysant sa démarche – la présentation de maisons fermières, supposément représentatives de la région – pour mettre en lumière les enjeux politiques de ce musée et comment sa présentation dans une revue spécialisée comme Die Denkmalpflege servait la rhétorique d’une identité nationale allemande alors en plein essor, en gommant les hétérogénéités linguistiques, ethniques et culturelles.
Pour conclure la première journée du colloque, Gabriele Dolff-Bonekämper de l’Université technique de Berlin a tenu une conférence, revenant sur les notions d’influences, de références et d’interférences dans le domaine du patrimoine. À travers plusieurs exemples français et allemands qu’elle a mis en parallèle, elle a pu développer les spécificités, les oppositions et les intersections entre les théories, pratiques et législations autour du patrimoine tout au long du XIXe et du XXe siècle.
Modéré par Gabriele Dolff-Bonekämper, le troisième panel a questionné les enjeux transnationaux de la conservation-restauration par le biais de trois interventions. Amel Benguedda de l’École Nationale Supérieure d’Architecture de Toulouse s’est tout d’abord intéressée à la notion de restauration au XIXe en Algérie coloniale entre 1872 – date de la première exploration architecturale de l’Algérie commandée par la Commission des monuments historiques – et 1880 – date de la création du Service des Monuments historiques en Algérie. Dans la deuxième communication du panel, Linca Kucsinschi de l’université Lyon 3 Jean Moulin a abordé les relations entre archéologues roumains et allemands de la fin du XIXe siècle au début XXe siècle afin d’illustrer l’importance du patrimoine archéologique, des fouilles et des restitutions dans les échanges et les contacts entre ces deux nations. Le panel s’est terminé par une intervention de Frauke Michler, de la Otto Friedrich-Universität Bamberg, qui, au travers d’une histoire croisée franco-allemande, a traité des ruptures et les continuités dans les politiques du patrimoine pendant et après la Seconde Guerre mondiale pour mettre en lumière les différentes gestions de part et d’autre du Rhin des destructions de guerre.
Le quatrième panel, modéré par Godehard Janzing a rassemblé des communications mettant en question les dynamiques de réseaux. Louis Petitjean, de l’université Paris IV et l’université de Bologne, a abordé le travail du premier conservateur du musée des instruments de musique du Conservatoire royal de Bruxelles, Victor-Charles Mahillon, qui propose une première classification des instruments de musique en quatre groupes. Son intervention a interrogé les contacts et échanges entre Mahillon et différentes institutions muséales dans un espace germanophone. Dans un deuxième temps, Birgit Knauer de l’Université technique de Vienne, a traité des organisations de Heimatschutz dans l’espace germanophone, plus particulièrement les échanges entre les Allemands et les Autrichiens durant le contexte politique particulier de l’entre-deux-guerres. Enfin, la troisième communication, présentée par Monika Lilkov de l’université de Strasbourg s’est intéressée à la redéfinition des espaces d’exposition au milieu du XXe siècle en prenant pour objet d’étude les échanges entre artistes cinétiques et historiens de l’art, parmi lesquels Leopold Survage, Charles Blanc-Gatti et Henry Valensi.
Modérées par Meinrad von Engelberg, les interventions du cinquième panel, composé de deux interventions, se sont concentrées sur un cas spécifique et régional : celui de l’Alsace. La première communication, présentée par Mathilde Haentzler, de l’université de Haute-Alsace, a abordé la question de la conservation du patrimoine artistique en Alsace au début du XXe siècle par le prisme du travail de la conservatrice, Sabine Hackenschmidt. Cette contribution a mis en lumière son impact dans la politique muséale du cabinet des Estampes à une période de changements politiques et son rôle d’intermédiaire avec les artistes contemporain·es. Greta Schott, de l’université d’Innsbruck s’est penchée sur les plans de construction, les impressions et les perspectives de tribunaux d’instance en Haute-Alsace, qui illustrent les enjeux de la politique de germanisation à la période où la région était annexée par l’Empire allemand, en les mettant en perspective avec leur usage actuel, alors que beaucoup ont perdu leur fonction judiciaire d’origine.
Le dernier panel, modéré par Gabriele Dolff-Bonekämper, a permis aux deux dernières intervenantes de traiter du cas spécifique des coopérations internationales. Camille Bidaud, de l’ENSA Paris/Val-de-Seine, a pris la parole pour aborder la délégation française lors de la conférence d’Athènes sur la conservation des monuments d’art et d’histoire de 1931. En questionnant l’attitude de la délégation française, elle a montré comment celle-ci a cherché à présenter une posture de justification de ses pratiques devant les autres représentations européennes, tout en essayant de peser sur la rédaction des conclusions. La dernière intervention du colloque présentée par Annika Sellmann de l’Université technique de Berlin s’est concentrée sur la European Architectural Heritage Year (EAHY) est une initiative lancée en 1975 par le Conseil de l’Europe et dont l’objectif est d’étendre les fondements de la Charte de Venise à des structures urbaines plus vastes et connexes. En considérant que les structures urbaines sont des lieux de construction d’une identité locale, nationale ou suprarégionale, elle a donné à voir un aperçu des positions des années 1970 autour de ce qui a été introduit à l’époque sous le nom de « conservation du patrimoine à orientation sociale », et orienté vers le quotidien.
Ce colloque junior a donné l’opportunité à plusieurs jeunes chercheur·se·s de présenter leur recherche et de se rassembler autour de problématiques communes, sur des aires géographiques diverses, mais toujours dans une perspective transnationale. Plusieurs pistes se sont ouvertes à l’issu de la manifestation, notamment autour des questions de la traduction et la circulation des textes théoriques, de la documentation autour des chantiers patrimoniaux, mais aussi de l’impact de et sur la politique de ces échanges à l’échelle nationale – avec l’élaboration de lois de protection et de conservation – et internationale – comme la mise en place de structures de collaboration transnationale des congrès de spécialistes aux mesures de l’Union européenne. Ces questionnements pourraient amener à organiser d’autres rencontres, afin d’explorer plus en profondeur ces problématiques sous-jacentes autour des échanges.
OpenEdition vous propose de citer ce billet de la manière suivante :
ciera2 (6 novembre 2024). Contacts, échanges et confrontations des théoricien·ne·s et des praticien·ne·s de l’architecture, de l’art et de la conservation-restauration en Europe du XVIIIe siècle à nos jours. Les carnets de recherche du CIERA. Consulté le 17 février 2025 à l’adresse https://doi.org/10.58079/12mup